Merci à "La Libre Belgique" et à Bosco d'Otreppe, le responsable des pages "Débats", pour la publication, ce samedi 6 janvier 2024, de notre carte blanche consacrée à la difficulté que rencontrent de nombreux Belges à mourir chez eux, malgré le fait que ce soit leur souhait le plus cher. Des solutions existent pourtant, mais comme souvent, le manque de moyens empêche ou limite leur concrétisation.
Si vous n'avez pas eu l'occasion d'acheter "La Libre Belgique" en librairie ou de la consulter en ligne, pas de soucis. Voici le texte dans son intégralité :
Mourir chez soi : mission impossible ?
Près de 60% des Belges souhaitent terminer leurs jours à la maison. Pourtant, dans les faits, ce n’est pas le cas que pour un Belge sur cinq. Des solutions existent, mais comme souvent, le manque de moyens empêche ou limite leur concrétisation.
Selon une enquête réalisée en 2020[1], près de 60% des Belges désirent terminer leurs jours chez eux, c’est-à-dire dans un cadre à la fois familier et rassurant. La réalité est pourtant tout autre, puisque plus on approche de la mort, plus le maintien à domicile se raréfie au profit de l’hospitalisation. Finalement, un peu plus de 20% des Belges[2] meurent à la maison. Ces chiffres, déjà interpellants en soi, seraient sans doute sensiblement différents si l’on effectuait ce sondage aujourd’hui. En effet, l’épidémie du Covid-19 est passée par là et nous a amenés à revoir certaines de nos priorités, notamment en ce qui concerne la fin de vie. Durant cette période, trop de personnes ont effectivement dû quitter cette vie à l’hôpital, complètement isolées de leurs proches.
Comment expliquer qu’il soit si difficile de respecter le souhait exprimé par la plupart des Belges de mourir chez eux ? La raison la plus souvent évoquée est la complexité des soins, qui rend souvent le maintien à domicile impossible et motive le transfert à l’hôpital. Ensuite, beaucoup de Belges ignorent encore qu’il est possible de bénéficier de soins palliatifs à la maison, soit parce que leur médecin traitant est mal informé, soit parce qu’il n’a pas estimé judicieux d’en parler à son patient. Enfin, ce qui empêche aussi très souvent la réalisation de ce souhait, c’est le coût que représente le maintien au domicile, surtout si l’on est relativement isolé ou qu’on ne peut pas vraiment compter sur le soutien de son entourage.
Une autre difficulté qui est souvent pointée du doigt lorsqu’on évoque la problématique des soins palliatifs en Belgique est le manque de financement. En Région wallonne, du côté des équipes spécialisées, les plates-formes de coordination et les équipes de soutien[3] ont bénéficié en 2020 d’une révision de leurs subventions, mais celle-ci est loin d’avoir été suffisante. La situation est plus ou moins semblable à Bruxelles. En effet, les demandes d’accompagnement – surtout au domicile du patient – ne cessent d’augmenter, en raison de l’évolution démographique, du vieillissement de la population, de l’augmentation du nombre de cancers et de maladies chroniques, de l’amélioration des traitements, d’un encouragement aux soins palliatifs précoces, ainsi que d’une meilleure information du public, des communes et des médecins généralistes. Le nombre de lits en Unités de soins palliatifs, par exemple, n’a guère évolué depuis les années 1990, alors que les demandes ne cessent de croître. De plus, la durée maximale de séjour dans ces unités est limitée, ce qui fait qu’on encourage les malades à rester le plus longtemps possible chez eux. Le problème, c’est que pour certains d’entre eux, il n’est pas possible de rester au domicile. Ils sont alors accueillis dans les Maisons de repos et de soins (MRS), mais celles-ci ne sont pas toujours en mesure d’offrir le confort et les soins dont ces personnes auraient besoin, généralement par manque de personnel. On ne fait donc que déplacer constamment les problèmes, sans jamais chercher à les régler de manière durable.
Il paraît donc de plus en plus nécessaire, voire urgent, de renforcer les équipes spécialisées et d’élargir l’offre palliative actuelle en créant un nouveau type de structure : le « Middle Care Palliatif ». Celui-ci aurait pour but d’accueillir des patients dont l’état de santé ne demande pas (ou plus) une hospitalisation en Unité de soins palliatifs, mais qui, dans la situation actuelle, ne peuvent séjourner ni à domicile, ni en MRS. Les malades y bénéficieraient de soins médicaux et d’un accompagnement psychologique et social, dispensés par une équipe multidisciplinaire et des bénévoles formés aux soins palliatifs, et tout cela dans un environnement familial. Plusieurs initiatives existent en Belgique, mais elles ont été créées sans cadre légal précis. Le peu de moyens financiers qui leur sont alloués rend leur avenir précaire et peut empêcher les patients d’y accéder. Il est donc nécessaire de tester ce nouveau type d’infrastructure à travers quelques projets-pilotes afin de s’assurer qu’il couvre bien les besoins des patients qui ne trouvent pas (ou plus) de place dans le réseau de soins palliatifs actuel.
Au vu de toutes ces difficultés, il ne fait donc aucun doute que le secteur des soins palliatifs doit être réinvesti et refinancé. Si la plupart des associations parviennent à avoir leurs comptes à l’équilibre, il est clair qu’elles pourraient faire davantage et bien mieux avec des moyens plus importants. En effet, elles sont constamment obligées de s’auto-limiter, de faire des choix et de réduire leurs missions pour pouvoir tenir le coup financièrement, ce qui a forcément des conséquences sur le moral des équipes et le service à la population qu’elles sont censées rendre.
Bien sûr, on connaît le contexte : c’est la crise et les moyens budgétaires sont limités. Certes. Mais une réorientation des budgets vers le palliatif ne coûterait pas nécessairement beaucoup plus cher en regard du nombre actuel d’hospitalisations, inutiles, onéreuses et qui n’augmentent en rien le confort des personnes en fin de vie. Elles ne leur permettent en tout cas pas de réaliser leur souhait le plus cher : vivre chez elles jusqu’au bout. Une question de santé publique dont nous devrions toutes et tous nous saisir, vu qu’elle finira par nous concerner, un jour ou l’autre.
Pascal ANDRE
Secrétaire général de la Fondation Ginette Louviaux
[1] Enquête indépendante menée en 2020 auprès de plus de 1.000 Belges par DataStories, à la demande de la compagnie d’assurance-vie néerlandaise Hooghenraed.
[2] 25% en Flandre, 22% en Wallonie et 14% à Bruxelles (chiffres de 2015) – www.belgiqueenbonnesante.be.
[3] Les plates-formes sont des lieux de concertation ayant pour objectif de promouvoir la culture palliative dans les soins prodigués aux personnes en fin de vie. Les équipes de soutien sont des équipes pluridisciplinaires spécialisée en soins palliatifs, qui interviennent au domicile du patient, en seconde ligne.
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